Un quai gaulois en Ile-de-France

Publié le par Gil

"Il était un petit navire..." disait la chanson, et pour parler d'un sujet directement lié à la navigation, il est cette fois question d'un petit quai fluvial. C'est en effet la découverte qui vient d'être révélée par les archéologues de l'Inrap qui ont mis au jour les vestiges d'un quai gaulois sur la commune de Chelles en Seine-et-Marne, lors d'une intervention sur une fouille de sauvetage.

Vue générale du site de fouille à Chelles. ( Source: Inrap )

D'après les premières études du matériel retrouvé in situ, le site semble avoir été occupé dès la période du néolithique ancien, il y a environ 5000 ans avant notre ère, puis le site fut occupé à l'âge du Bronze et à l'âge du Fer. Cette installation fluviale en bois qui est l'objet de la découverte serait quant à elle datée entre le premier siècle avant notre ère et le premier siècle après. La découverte eut lieu dans un ancien bras de la Marne aujourd'hui asséché, autrement dit un paléochenal. Ce qui est exceptionnel c'est bien sûr l'état de conservation de la structure, car il n'est pas si fréquent que les constructions en bois traversent ainsi les siècles et nous parviennent pour nous livrer leurs secrets. Les archéologues ont également découvert sur place une grande quantité de bois travaillés et abandonnés dans les remblais, ce qui laisse penser que le quai découvert avait remplacé un aménagement plus ancien ou avait fait l'objet d'un nouvel aménagement ou d'une rénovation, les études à venir nous en dirons certainement plus. Ce que nous savons déjà, c'est que les installations réparties autour du site témoignent d'une activité commerciale ou artisanale sans doute liée au commerce sur le fleuve.

Vue de la face interne du quai en bois ( Source Photo: C.Chamarond, Inrap )

Vue de l'intérieur du quai antique, avec sur le côté gauche les morceaux de bois travaillés et abandonnés ( Source photo: C.Chamarond, Inrap )

Les vestiges des bâtiments découverts sur la berge à proximité du quai antique, indiquent aussi que le site fonctionnait bel et bien jusqu' après la conquête romaine en 52 avant J.C. Le site servait vraisemblablement de lieu de chargement pour le transport de marchandises sur la Marne. Car rappelons-le, la navigation fluviale bien trop longtemps minimisée fut un axe important du commerce, aussi bien pendant l'époque gauloise que sous l'empire romain. Les fleuves servaient bien sûr à transporter des marchandises avec des embarcations adaptées à chaque profil fluvial et pouvaient à l'occasion servir de routes sûres pour le déplacement ou le loisir de certains riches romains, qui trouvaient sur le fleuve un agréable moment de détente, comme en témoignent les textes antiques.

Pour commencer, voici la description du réseau fluvial gaulois, selon Strabon, un géographe et auteur grec mort au premier siècle de notre ère.

« Tous le pays est arrosé de fleuves, qui descendent les uns des Alpes, les autres des Cévennes et des Pyrénées, et se jettent les uns dans l'Océan, les autres dans notre mer. Les pays qu'ils traversent sont pour la plupart des plaines et des collines qui ont entre elles des cours d'eau navigables. Et les rivières sont si heureusement situées l'une par rapport à l'autre que les transports sont aisées d'une mer à l'autre, les cargaisons cheminant sans peine également par les plaines sur une courte distance, mais surtout par les fleuves qu'elles remontent ou qu'elles descendent » ( Strabon, IV,1,2).

Voici encore un autre témoignage, signé du poète gaulois Sidoine Apollinaire qui vécut au 5ème siècle de notre ère et qui fit mention du transport fluvial dans ses nombreuses lettres.

« Là, t'attend une couche faite de coussins, une table de jeu garnie de ses pions bicolores, un grand nombre de dés prêts à rebondir sur les degrés ornés d'ivoire de leurs cornets ; là pour éviter que tes pieds pendants ne soient mouillés par le roulis de l'eau malpropre de la cale, les flancs recourbés du navire seront munis d'un pont de planches de sapin ; là tu seras protégé contre le vent désagréable de cette région, par l'écran d'une toile inclinée au-dessus de ta tête ; que pourrait-on faire de plus pour ton confort que de te donner la surprise que tu es arrivé quand tu t'es à peine aperçu de la durée de ton voyage ? » (  Apollinaire, Epist., V).

Une telle description ne laisse aucun doute sur le confort que procuraient les déplacement sur le fleuve. 

Et pour en terminer avec les témoignages antiques, voici celui du poète Ausone qui vécut quant à lui au 4ème siècle de notre ère à Bordeaux et qui parle également du confort lié au transport fluvial dans une lettre à un de ses amis.

« Monte en hâte sur un bateau, déroule le lin déplié de ta voile. Le souffle du vent du Médoc t'emmènera, allongé sous les draperies, sur un lit pour que soit évitée toute secousse à la masse de ta corpulente personne. Une seule marée te portera de Dumnitonum au port de Condate, si seulement tu te hâtes et si pour remplacer la voile quand la brise tombera, tu fais alors marcher ton navire à la rame. Tu trouveras aussitôt un chariot attelé et bientôt, par la route tu seras à la villa de Lucaniacum » (Ausone, Epist., V).

 

Les témoignages antiques faisant référence au transport fluvial ne manquent donc pas, mais ce qui manque hélas, c'est principalement les structures antiques directement liées à l'aménagement du fleuve, ainsi que les embarcations de cette époque. Il est donc très difficile de faire une étude précise sur le sujet et je sais de quoi je parle puisque j'y ai consacré une maîtrise universitaire, dont une version mise à jour, sera par ailleurs bientôt disponible sur ce site au format PDF.

Quoiqu'il en soit, des découvertes se font encore au hasard d'un étiage ( abaissement exceptionnel du niveau d'un cours d'eau ) ou encore lors de fouilles de sauvetage, comme ce fut cette fois le cas. Mais restez vigilant quand vous vous promenez au bord des fleuves et des rivières de France, au hasard d'un promenade et avec de la chance vous pourriez tomber sur une ancienne embarcation antique ou moyannageuse enfouie dans la vase et les sédiments fluviaux, ou encore sur des pilotis, antiques témoins de la présence d'un pont aujourd'hui disparu. Gardez donc les yeux bien ouverts et qui sait, vous pourrez contribuer à faire revivre un peu le passé. Dans tous les cas, prévenez les autorités archéologiques comptétentes de votre régions en cas de découvertes.

 

Bibliographie pour aller plus loin:

-F.Beaudouin, E.Rieth, "Archéologie de la navigation intérieure", Les cahiers du musée de la batellerie, n°7, 1983

-A.Ferdière., " Découverte d’un quai romain à Bourges, Lazenay (Cher) ", Géographie commerciale de la Gaule : actes du colloque, Paris, ENS, juin 1976, Caesarodunum, tome 2, Tours, 1977, p.326-332

-F.de Izarra," Bateaux des fleuves de Gaule", Les cahiers du musée de la batellerie, n°38, 1997

-E.Rieth, "Des bateaux et des fleuves, archéologie de la batellerie du Néolithique aux Temps modernes en France", Paris, Errance, 1998

Publié dans Archéologie classique

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